Mi-homme mi-cochon
Publié le 06 décembre 2015 | Créé le
mis à jour le 26 novembre 2020 | Aucun commentaire
Mi-homme mi-cochon
Chère lectrice, cher lecteur,
La revue scientifique « Nature » publie dans son dernier numéro (12 novembre 2015) un stupéfiant article sur l’implantation d’organes de cochon chez l’être humain.
Ce n’était pas possible avant parce que le système immunitaire du cochon est différent de celui de l’homme. Les tentatives de transplantation entraînaient des « rejets de greffe » bien prévisibles.
Mais les généticiens sont parvenus à changer le système immunitaire des cochons en implantant des gènes humains sur leur ADN. Le système immunitaire de ces cochons transgéniques est devenu plus compatible. La voie a été rouverte vers la transplantation d’organes de cochon sur l’homme.
Déjà il est autorisé en Chine de poser chez l’homme une cornée (la surface de l’œil) de cochon.
Aux Etats-Unis, il est possible de se faire greffer de la peau de cochon. Ce n’est pas officiellement autorisé mais ce n’est pas non plus interdit. Une étude menée par l’Hôpital général de Boston a permis d’identifier des dizaines de personnes ayant recouru à cette procédure.
La firme néo-zélandaise Living Cell Technologies est en train de faire valider dans de nombreux pays un système d’implantation de morceaux de pancréas de cochon chez l’être humain afin de produire de l’insuline. Ce système s’appelle DIABECELL et vise à soigner les diabétiques.
Le chirurgien Muhammed Mohiuddin, de l’Institut national du cœur dans le Maryland (USA), a implanté un cœur de cochon sur un babouin qui a survécu deux ans et demi à l’opération. Ayant surmonté les problèmes de rejet d’organes, il estime que la voie est ouverte pour mener l’expérience sur l’homme.
Le chirurgien David Cooper, de l’Université de Pittsburgh (USA), a annoncé en juin 2015 qu’un babouin avait survécu 136 jours avec un rein de cochon, génétiquement modifié lui aussi, pour supporter la transplantation et le rejet de greffe.
Robin Pierson, qui dirige le Laboratoire de recherches de l’Université du Maryland et qui a réalisé des dizaines d’opérations de ce type, tente actuellement de transplanter des poumons de porc sur des babouins.
La difficulté est que les poumons sont constitués d’une fine trame de vaisseaux sanguins.
Cela signifie que le sang du babouin se trouve en contact étroit avec des protéines de cochon (qui constituent les vaisseaux sanguins), ce qui le fait coaguler. Actuellement, les babouins ne survivent que quelques jours. Cette technique requiert donc encore des progrès avant de devenir praticable.
Toutefois, la firme américaine United Therapeutics, dans le Maryland, a investi 100 millions de dollars pour fabriquer des cochons génétiquement modifiés. Ils sont destinés à produire des organes pour les êtres humains. Elle déclare qu’elle veut « réaliser les premiers essais cliniques en 2020 » [1].
Jusqu’où ira-t-on ?
Sur le plan technique, ce qui bloque encore est que les cochons sont porteurs de nombreux virus et rétrovirus. Présents dans les organes transplantés, ils pourraient se réveiller chez les êtres humains avec des conséquences imprévisibles.
Les autorités de santé hésitent donc encore à donner leur feu vert.
Cependant, les expériences de greffe de peau de cochon n’ont apparemment pas déclenché de problème.
Il est donc possible, et à mon avis tout à fait probable pour ne pas dire certain, que les premières tentatives de greffes d’organes de porc sur l’être humain seront tentées d’ici peu.
La procédure est connue. D’abord, l’expérience sera tentée sur un malade se trouvant « dans un état désespéré ». « De toutes façons, il va mourir, donc on n’a rien à perdre ! », sous-entendront les médecins.
Après quelques échecs, l’opération va réussir. On commencera par un organe « simple » à transplanter, comme le rein.
Ensuite, ce sera le cœur, le pancréas, les poumons, des artères, le cristallin, des morceaux d’intestin, la trachée, et, pourquoi pas « le pied de cochon » (non, je plaisante bien sûr).
Blague à part, c’est ainsi qu’ont commencé toutes les expériences médicales innovantes, qui paraissaient impensables aux générations précédentes et qui sont ensuite entrées dans la norme.
Il faut donc imaginer que, d’ici quelques décennies à peine, les personnes très âgées auront eu le temps, au cours de leur existence, de faire changer la plupart de leurs organes vitaux et se retrouveront constituées, pour l’essentiel, de cochon.
Comment réagir ?
Imaginez-vous dans la situation : votre enfant est en danger de mort. Son cœur pourrait lâcher à chaque instant.
Le chirurgien, affolé, vous explique que la pénurie d’organes humains est totale. Il n’y a aucun « donateur » pour votre enfant.
Mais il y a une solution : on peut lui implanter un cœur de cochon. Cela ne fait pas glamour, évidemment, mais sa vie sera sauve !
Quel parent renoncerait à cette solution ? Et après tout, à partir du moment où ça ne fait de mal à personne, où est le problème ? Nous avons tout à y gagner, n’est-ce pas ?
Je suis convaincu que c’est ainsi que nous réagirons tous, y compris moi-même.
Mais je ne suis pas complètement certain, malgré tout, que l’opération « ne fera de mal à personne ».
Le progrès, à quel prix ?
L’opération fera mal… à l’enfant. Il vivra, c’est sûr, mais s’accepter lui-même, arriver à vivre avec l’idée que c’est un cœur de porc qui bat dans sa poitrine, cela sera horriblement douloureux.
Et je ne parle pas du regard des autres.
Bien sûr, on va nous proposer de grandes solutions pour remédier au problème.
Des livres pour enfant seront édités où l’on verra un petit garçon « tout à fait comme les autres », et même plus joyeux que les autres, avec un organe de cochon.
Dans les écoles maternelles, on intégrera dans les programmes un apprentissage à la non-discrimination contre les êtres humains ayant des organes de cochon.
Des psychologues seront recrutés pour soutenir les personnes transplantées et leur famille, pour les convaincre que tout cela est parfaitement normal et souhaitable.
Des films hollywoodiens sortiront avec des histoires bouleversantes où le héros qui sauve la planète se trouve justement avoir été sauvé lui-même quelques années auparavant par une greffe de cœur de cochon. « Sans ce progrès, l’humanité entière aurait disparu », en déduira le spectateur inconsciemment.
L’idée s’installera et tout le monde « finira par trouver ça normal », comme le chantait Jean-Jacques Goldman.
Mais il faut bien réfléchir aux vastes conséquences du progrès technique. Aujourd’hui, nous plaçons la vie comme le souverain bien, la valeur absolue en travers de laquelle il ne faut mettre aucun obstacle moral ou légal.
Pourtant, souvenons-nous que nos ancêtres n’ont pratiquement jamais raisonné ainsi. Combien sont morts pour défendre la liberté ? Combien sont morts pour défendre la dignité ? Combien sont morts, finalement, pour défendre la haute vision qu’ils se faisaient de l’humanité ?
Je le répète, si mon enfant était menacé de mort et que la seule solution pour le sauver était qu’on lui pose un cœur de cochon, je sais très bien que j’accepterais. Mais le fond de ma pensée c’est que je trouve inhumain, au sens propre, que l’homme soit un jour obligé, au nom du progrès technique, de faire un choix pareil.
Enfin, penser que notre civilisation est en train de consacrer des moyens financiers colossaux pour de telles recherches alors qu’on n’a pas un sous pour les moyens naturels de garder la santé, qui sont pourtant si prometteurs, cela me paraît vraiment étrange et désolant.
Mais heureusement, grâce à vous, cher lecteur, je ne me sens pas seul !
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À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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Sources :
[1] Nature, 12 novembre 2015, Vol. 527, page 152
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